L’Electre de Simon Abkarian

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oct 3, 2019 #Coups de ♥, #News Commentaires fermés

Le Théâtre du Soleil accueille la Compagnie des 5 roues

Electre des bas-fonds

texte et mise en scène Simon Abkarian

du 17 septembre au 3 novembre 2019

Et bam. Le géant Abkarian a encore frappé.

Le néo-méditerranéo-tragico-poète, le post-féministe, l’imposant comédien, l’autoritaire sensuel, le dandy intello, le Patriarche des Matriarches, donne avec son spectacle « Electre des Bas-Fonds » une humaine démesure au théâtre. Il y convoque, aidé d’une grande et belle troupe, la trivialité et la noblesse, son goût des mots, les joies du théâtre, ses perfections et ses fouillis infinis.

Il y a de la gouaille dans son texte, il y a le Poème, les classiques en vrac, des Grecs tiraillés, des enfants « en questions », des reines aux vinyls rayés et des beaux-pères mafieux.

Dans ce théâtre la beauté des masques et des costumes, les corps dansants, les couleurs, les images cinéma, la tragi-comédie côtoient les héritages décadents, les grandeurs d’âme et les vengeances terribles, éléments nécessaires à ce qu’il reste en vie le théâtre, justement. Il y a aussi une musique pour chacun, noire, lancinante et têtue.

Tout ça est électre-isant.

Il y a des femmes, beaucoup de femmes, toutes les femmes. Les putes sont d’anciennes vierges, les vierges virent putes, les hommes empruntent au féminin les femmes se font viriles. Elles sont montrées imparfaites, sexuelles, hurlantes, effarouchées, pures, butées, douces ou terribles. Simon recrée le paysage avec sa mythologie du féminin. Il joue d’ailleurs avec elles sur scène dans l’intimité du gynécée des prostituées. Au bordel. C’est son continent, le féminin, on dirait.

Et puis il y sa langue qui ose l’argot et l’emphase. Il est le seul aujourd’hui à pouvoir lancer dans chaque phrase une lance de mille métaphores filées sans flancher puis esquisser dans la foulée un trait d’esprit.

Chez Abkarian, une métaphore bouscule la précédente, une autre gifle la deuxième, une dernière les met K.O. Il ose aussi, pour réécrire Electre, le mélange des genres et l’humour du tragique – on le sait, là où il y a la tragédie ou la guerre, il y a aussi l’humour salvateur le plus féroce – Sa langue vient de là où l’esprit n’a pas peur des images, du grandiose, du chaos. C’est dans ses mots que réside son héritage fort, quadrilingue (?) et multiculturel.

Avec ce spectacle, il est allé au bout de sa langue, de ses fantasmes. Il propose sa vision et s’expose. Il convoque Shakespeare, le Cabaret, le Théâtre Nô, Le Kathakali, la Tragédie grecque, le Parrain, la Comédie, le Burlesque… Ivre de la joie de faire du théâtre. Et les spectateurs sont heureux.

Enfin, et c’est le plus important, il rend justice aux femmes en réécrivant le personnage de Chrysothémis et en donnant de la nuance à la culpabilité de Clytemnestre. Car si elle a tué son roi de mari, l’intouchable Agamemnon, lui n’avait-il pas sacrifié avant leur fille Iphigénie sur l’autel des Dieux ?

Dans « son » Electre, Simon Abkarian réécrit l’histoire et se fait sauveur des femmes victimes d’injustice. Presque totalement. Autant qu’il peut. Et ça, il fallait l’oser. Merci.

Ses contradicteurs et les Dieux outragés, qu’ils aillent se faire voir (chez les grecs ?)

Lauréline Kuntz -  le 1er ocobre 2019

 

Les représentations de la pièce ont lieu au Théâtre du Soleil à Vincennes du 17 septembre au 3 novembre 2019.

Théâtre du Soleil Cartoucherie 75012 Paris. 0143742408

 

Résumé : A son retour de la guerre de Troie, Agamemnon, roi des Grecs, est assassiné par sa femme Clytemnestre et son amant, Egisthe. Pour asseoir leur domination, le couple ordonne l’assassinat d’Oreste, le fils d’Agamemnon. La plus jeune fille du roi, Chrysothémis, fait le choix de rester auprès de sa mère et de supporter la concupiscence d’Egisthe. Electre, l’aînée, a trouvé refuge chez les prostituées d’Argos et se consume dans son désir de vengeance. Aveuglée par la haine, refusant l’appel à la raison et au pardon de sa jeune soeur, elle la laisse sacrifier sa virginité à Egisthe et reste sourde aux justifications de sa mère qui a tué Agamemnon pour venger la mort de sa fille, Iphigénie. Son seul espoir se nomme Oreste, frère exilé qui, travesti en femme, revient à Argos pour exaucer les prières de sa soeur. Dans la scène finale, lui, le fils qui répugne à verser le sang, exhorté par sa soeur assoiffée de vengeance, commet un matricide, prolongeant ainsi la malédiction des Atrides.